lundi 16 juillet 2012

Les aléas de l'adaptation

Je suis fasciné par l'adaptation d'une oeuvre d'un format à un autre, particulièrement le passage d'un livre à un film. Mon projet de doctorat était d'ailleurs sur l'adaptation cinématographique de l'oeuvre de Lovecraft. Dernièrement, j'ai pu vivre une expérience unique : écouter le film Créance de sang de Clint Eastwood pratiquement en même temps que je lisais l'oeuvre originale de Michael Connelly.


L'histoire de base reste la même : Terry McCaleb est un ex-agent du FBI spécialisé dans la traque de tueur en série qui a dû prendre une retraite prématurée à cause de son coeur défaillant. À peine remis de l'opération qui lui a permis d'avoir un nouveau coeur, il fait la connaissance de Graciela Rivers, la soeur de la donneuse d'organe. Graciela demande à Terry d'enquêter sur la mort de sa soeur, un meurtre qui n'a jamais été résolu. Malgré les conseils de son médecin traitant, McCaleb, bien que diminué physiquement, se lance dans l'enquête. Et très tôt, ce qui semblait n'être qu'un meurtre commis au hasard lors d'un braquage de dépanneur se trouve être mêlé à une histoire beaucoup plus grosse.

Voici quelques impressions à chaud :

Sur le livre : j'en suis à mon neuvième Michael Connelly et je considère que Créance de sang est le moins réussi du lot. C'est loin d'être mauvais, mais l'intrigue suit un parcours singulier qui amène des éléments importants de la toile de fond à être amenés beaucoup trop tard (erreur en grande partie corrigée dans le film). De plus, il y a un tic d'écriture que je n'avais jamais trouvé dans les autres livres de l'auteur : celui d'annoncer quelque chose avant de le répéter dans le paragraphe suivant ou dans le dialogue qui suit. Ça n'arrive pas si souvent que cela, mais assez pour m'agacer royalement. Malgré tout, l'ensemble est satisfaisant et, si j'ai moins cliqué avec le personnage de McCaleb qu'avec Harry Bosh, je ne me suis pas ennuyé une seconde.

Sur le film : j'aime beaucoup les films de Clint Eastwood et même si je le trouve limité dans sa palette de rôle, je l'ai toujours trouvé efficace dans son rôle de dur à cuire non conformiste. Là... disons qu'il fait la job sans plus même si j'ai eu de la difficulté à imaginer qu'il pourrait encore être un agent actif à son âge. En général, j'ai trouvé que la direction d'acteur était déficiente (surtout les bouffons de policiers qui jouent beaucoup trop gros) et que la réalisation était, au mieux, celle d'un téléfilm. Dans l'ensemble, ça m'a donné l'impression d'un film de série B avec une bonne histoire mal développée. Le plus grand défaut vient du côté des dialogues qui, dans plusieurs cas, sont repris presque tel quel du livre... et c'est là qu'on se rend compte que les dialogues ne sont pas la plus grande force de Connelly (j'ai écouté en français et en anglais pour voir si ça sonnait mieux). Ce qui passe dans un livre ne réussit pas toujours l'épreuve de l'oralité. Autre problème : après dix minutes j'ai regardé ma blonde et je lui ai dit : "J'espère que ce n'est pas lui le tueur". Et bien, c'était lui. Ce qui est amusant, c'est que ce n'est pas le cas dans le livre. J'aimerais dire que la découverte du tueur me vient d'un sens infaillible développé par la lecture et l'écoute d'histoires policières, mais c'est plutôt le choix des acteurs qui m'a permis de le découvrir... et ça j'haïs ça. Voici la règle : dans un film policier, quand on voit un acteur trop connu pour son rôle, c'est le tueur. Malheureusement, cette règle se vérifie trop souvent. Toutefois, la mise en place de l'histoire m'a semblé plus satisfaisante que dans le livre, mais la fin... c'est n'importe quoi. On s'éloigne du matériel original et pas pour le mieux.

Notes sur l'adaptation : Je ne suis pas un maniaque de la fidélité à l'oeuvre de départ. Au contraire, j'apprécie le glissement qui se fait d'un médium à un autre pour s'adapter à son format. Il faut comprendre que pour faire un film de deux heures de façon la plus collée possible au livre, celui-ci ne devrait pas dépasser 160 pages environ. On parle davantage d'une novella. Alors, il est impossible d'adapter Créance de sang en conservant toute les fausses pistes et les bouts d'enquête qui ne mènent nulle part. Ce qui est particulier dans l'adaptation présente, c'est qu'il y a plusieurs scènes dans la première moitié du film qui sont des reprises presque tel quelle du livre, mais parfois hors séquence ou même hors contexte. Et, bizarrement, ce sont souvent des scènes qui sonnent faux.

La bonne idée du film est de placer d'entrée de jeu le contexte des problèmes cardiaques de McCaleb et de parler de sa dernière enquête qui aura des répercussions plus tard. Dans le livre, on commence après la transplantation cardiaque et la dernière enquête (celle du tueur au code) ne sera amené que tardivement et de façon un peu garroché. De plus, on a réussi à passer plusieurs déductions des enquêteurs en scène visuelle, et dans la plupart des cas, ce fut bien fait. En ce qui me concerne, les bonnes idées d'adaptation s'arrêtent là. Je ne comprends pas pourquoi le tueur n'est pas le même que dans le livre et la fin, honnêtement, c'est n'importe quoi. Déjà que ce n'était pas la grande force du livre, là, on a trouvé le moyen de faire pire. Cela donne un effet bizarre : un film qui est à la fois trop et pas assez fidèle au livre. Les meilleures scènes sont celles qui reprennent l'information du livre, mais en le livrant de façon plus cinématographique.

Dans l'ensemble, cela nous donne un film assez mauvais adapté d'un livre intéressant sans plus. Par contre, la découverte simultané ou presque (j'ai lu une cinquantaine de pages du livre avant de commencer le film que j'ai écouté en trois séances entrecoupées de lecture du livre) m'a permis de réfléchir sur le processus d'adaptation.

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