mardi 31 mai 2016

Retour sur l'aventure Cobayes

Les éditions de Mortagne ont lancé à l’automne la série Cobayes. Sept auteurs devaient écrire un roman à partir d’une même mise en contexte : des gens acceptent de tester une molécule, la Chlorolanfaxine, développée par les Laboratoires AlphaLab. Seulement, ce médicament censé aider ceux qui souffrent de troubles anxieux et de dépendance, entraîne des effets secondaires insoupçonnés qui mèneront les patients dans l’horreur. 

La série presque complète... mon exemplaire d'Anita est demeuré caché, trop gêné pour participer à la séance de photo.

Comme le dernier bouquin de la série, Cédric, est paru ce printemps, je pensais que ce serait intéressant de revenir sur cet ambitieux projet. Les couvertures, d’une facture très cinématographique, sont une des grandes réussites du projet. Chaque livre est un bel objet qui donne envie d’être découvert. De plus, les médias sociaux ont été utilisés à bon escient pour faire la promotion du projet, notamment pour diffuser les bandes annonces de chaque livre. De plus, plusieurs auteurs de talents ont été rassemblés autour de ce projet.

Plusieurs des livres de la série sont bons et même très bon, malgré tout, l’ensemble souffre de faiblesse. La principale est que la série n’est pas meilleure que la somme de ses parties. Chaque livre suit un modèle similaire : le personnage (ou les personnages dans le cas de Sarah et Sid) a besoin d’argent, il voit la publicité sur l’étude pharmaceutique, puis on suit l’histoire entrecoupée des différentes injections alors que le cobaye connait une descente aux enfers. Cela donne un effet répétitif, surtout lorsqu’on lit deux livres de façon consécutive. De plus, il manque de lien entre les différents livres qui auraient permis de développer l’arrière-fond qui demeure au final assez flou. Les éditeurs ont réussi à créer des attentes en annonçant un chapitre final à la fin de chaque volume. Le concept était génial : il y a une lettre à la fin de chaque livre, après les avoir tous lus, on prend les lettres pour former un mot que l’on inscrit sur un site Internet pour avoir accès à ce chapitre tant attendu. Seulement, les réponses sont TRÈS décevantes. Les personnages clés sont évacués de l’équation et les raisons pour justifier cette expérience m’ont apparu très faibles.

Cela dit, malgré ce constat sévère, j’ai apprécié presque tous les livres de la série à différents niveaux et il y a là quelques scènes d’anthologie dans le domaine du gore et de l’horreur.

Voici un petit résumé des différents livres présentés en ordre chronologique de parution :

Anita, de Marilou Addison : Anita est une femme carencée au possible qui souffre d’anorexie. Si elle décide de participer aux essais cliniques pour une étude pour contrôler l’anxiété, c’est seulement pour une raison : un des effets secondaires annoncés est la perte de poids. Elle voit ainsi un moyen d’atteindre le poids symbolique de 100 livres. Seulement, des effets imprévus auront des conséquences sur sa vie. D’abord, une violence qui la gruge de l’intérieur. Et une faim impérieuse, qu’elle se doit d’assouvir. Un appétit immense pour la viande, de plus en plus saignante.

Je dois admettre que j’ai eu de la difficulté à me plonger dans ce récit raconté du point de vue du principal protagoniste, car Anita est réellement antipathique. Cela nuit à l’identification. Par contre, la plume de l’auteur a quelque chose d’envoûtant et, après quelques pages, je me suis retrouvé happé par ce récit, à toujours vouloir savoir ce qui va se passer ensuite. Il s’agit d’une histoire d’horreur psychologique. Le rythme est bon, le suspense prenant et il y a quelques scènes horribles à souhait (bien que l’auteur ne verse jamais dans la surenchère de détails sanglants).

Sarah et Sid, d’Ève Patenaude : Ancienne danseuse de ballet, Sarah gagne maintenant sa vie par la danse… la danse érotique dans un bar louche. Quant à Sid, sous ses dehors de beau gosse bien dans sa peau, il est hanté par la mort de son ami Charlie. Ses deux écorchés de la vie vont se rencontrer et tomber en amour. Pour rembourser une dette de Sarah, ils vont accepter de participer à l’étude d’AlphaLab… pour leur plus grand malheur.

Mon livre préféré de la série même s’il est l’un de ceux qui verse le moins dans l’horreur. Il s’agit plutôt d’un thriller d’excellente facture. La psychologie des personnages est bien développée, tout comme leur vie en dehors des études cliniques. L’écriture d’Ève Patenaude est très précise et elle rend bien les émotions de ses personnages. Le seul défaut à mon sens est une vision disons… hollywoodienne du piratage informatique. Sinon, un sans faute ou presque.

Yannick de Martin Dubé : Yannik est la gentillesse incarné. Jamais en colère, toujours prêt à aider les autres. Pour venir en aide à sa sœur et à son neveu, il va accepter de participer à l’étude d’AlphaLab, histoire d’amasser de l’argent rapidement. 

De loin, de très loin, le livre que j’ai le moins aimé de la série. L’humour potache de cette histoire m’a exaspéré. Le même procédé revenait tout le temps : le personnage échafaudait un plan horrible… et ce n’était qu’un rêve. De plus, il n’y a ni suspense véritable, ni scène d’horreur. En fait, ce livre semblait déplacé dans cette série.

Benoît de Carl Rocheleau : Amateur de cinéma en général et de Tarantino en particulier, Benoît arrive à Montréal sans le sous, encore sous le choc de sa dernière rupture amoureuse. Bien vite, il découvre un moyen de faire de l’argent en servant de cobaye pour des tests pharmaceutique, puis il tombe sur Mini, une jeune asiatique qui l’héberge et deviendra bien vite son amoureuse. 

Voilà un excellent livre. L’auteur sait créer le suspense et offre une belle gradation dans l’horreur. La psychologie de ses personnages est bien développée. En fait, mon seul bémol concerne la fin. Je sais que l’explosion d’action est une forme d’hommage à Tarantino, mais la fin m’a semblé trop rapide. D’autant plus qu’elle ouvre sur de nouvelles possibilités dans la série qui non seulement ne seront pas développés par la suite, mais qui entre en contradiction avec le Chapitre final.

Olivier d’Yvan Godbout : Olivier est marqué par la mort de son frère jumeau. D’ailleurs, il en garde des traces dans son corps marqué par les cicatrices. Ses parents l’ignorent et il souffre de troubles anxieux. Il souhaite changer de vie, quitter son emploi minable, déménager de la maison familiale et, surtout, guérir. C’est dans cet objectif qu’il accepter de jouer les cobayes pour AlphaLab… pour son grand malheur.

Il y a plusieurs maladresses dans la narration, les dialogues ne sonnent pas toujours juste et l’histoire souffre de quelques clichés. Par contre, du côté de l’horreur, Yvan Godbout a repoussé la limite de la série en y ajoutant quelques scènes gore mémorables et, au final, je suis sortie de ma lecture satisfait. 

Elliot de Madeleine Robitaille : Elliot travaille à temps partiel dans une pharmacie. Asocial et sans ami, il se complait surtout dans son monde intérieur. Et, lorsque les pensées ne sont plus suffisantes, il tue une nouvelle femme et écrit une nouvelle à partir de son expérience, ce qui peut le soutenir pendant des jours, des semaines, des mois, jusqu’à ce que sa faim soit trop grande et qu’il tue de nouveau. Pour aller au bout de ses fantasmes, il voudrait terminer les travaux de sa pièce insonorisée. Et c’est là qu’il voit l’offre d’AlphaLab, le moyen idéal d’amasser de l’argent rapidement et sans effort.

Le modèle de la série est pris à contrepied. Alors que les autres livres nous montrent la descente aux enfers de gens normaux, ici, on voit un psychopathe sur le chemin de la rédemption… Les cinquante premières pages m’ont dérangé, car j’avais l’impression que le personnage passait son temps à se justifier. L’action parlait pour lui et l’auteur aurait dû laisser le lecteur se faire sa propre opinion. Il y a aussi la finale qui m’a semblé un peu artificielle. Par contre, entre les deux, on a droit aux meilleurs moments de la série avec des scènes très dures et un suspense prenant.

Cédric d’Alain Chaperon : Cédric est un fumeux de pot sans ambition qui passe sa vie dans les histoires des autres que ce soit par les livres ou les films. Il est aussi le rédacteur du Blogue du Cobaye qui lui permet de partager sa vision du monde. Pour arrondir ses fins de mois, il joue les cobayes pour différentes compagnies pharmaceutiques, ce qui l’amène à répondre à l’annonce d’AlphaLab. Dans un premier temps, le produit aura des effets positifs sur sa vie, l’amenant à prendre confiance en lui. Il va même amorcer une relation amoureuse avec une ancienne vedette d’émission pour enfants. Puis, avec des doses plus fortes, il va devenir un monstre d’ambition et d’orgueil.

Alain Chaperon signe le livre le plus léger de la série après Yannik et, d’après moi, la légèreté ne se mêle pas bien à l’expérience Cobayes. S’il s’en tire mieux que Dubé, l’auteur ne réussit pas à remplir le mandat de la série et on se retrouve avec une critique sociale agréable à lire, mais qui manque de rythme. En fait, le contrat tacite avec le lecteur est rompu : il n’y a pas d’horreur dans ce livre, ou si peu, et il manque de suspense. Malgré tout, l’auteur possède une belle plume et le livre est agréable. 

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